Atelier d'écriture : insérer une toiletteuse pour chiens, un insomniaque, un bonzaï, un fauteuil-crapaud...
LE FAUTEUIL
- Ah non ! je garde le fauteuil crapaud !
- Tu exagères ! il était à ma mère…
- Je sais… bon, écoute, je te l’échange contre mon bonzaï…
Bertrand esquissa un sourire…. « ce bonzaï est vraiment très beau.. et c’est vrai que ce vieux fauteuil est défoncé depuis longtemps.. »
- OK, ça marche !
- Et ça te fait rire !!
Denise, elle, fronçait les sourcils. « Quelle galère cette étape de la séparation ! ».
Heureusement, son mari avait toujours été conciliant :
- Bah ! on va pas se déchirer pour des choses matérielles ! Et puis on ne divorce pas vraiment, on décide juste de vivre séparément, pour vivre chacun à son rythme… et tu sais bien que je..
-Je sais, je sais… quand même c’est dur, la maison va paraitre vide… finalement je t’envie, toi tu vas avoir la sensation de repartir à zéro dans ton nouvel appartement…
- Allez, garde-le ce bonzaï…c’est le tien, tu l’as bien soigné…
- Non, non... tu sais bien que, de nous deux c’est toi le plus « japonisant » ! ça m’est égal… par contre, ce fauteuil…
- Comme tu veux… bon, il est l’heure, je file…. A samedi ? de toute façon, tu m’appelles s’il y a le moindre…
- Oui, oui…
- Et sois raisonnable quand même avec tes insomnies, essaye d'écrire le soir, ou le matin... N’abuse pas, sinon tu ne tiendras pas le coup au boulot ! Tu ne veux vraiment pas quelques-uns de mes somnifères ? je t’assure, ils sont légers…
- Arrête, ne recommence pas… bonne journée !
Denise s’assit dans le fauteuil. Le silence s’abattit instantanément dans la pièce. Un silence oublié depuis longtemps. Elle se souvint de sa première piaule de jeune fille.... Silence, solitude, angoisse… Elle pleura. Doucement, longtemps.
Mais peu à peu, elle ressentit une sorte de chaleur étrange, émanant du fauteuil sur lequel elle était assise. Oui, là, sous ses fesses, une chaleur se faisait de plus en plus intense … Elle se redressa légèrement, caressa les accoudoirs… La chaleur redoubla, inquiétante et grisante à la fois.
Elle ferma les yeux, soupira profondément.
Mais un bruit à ses pieds la tira de sa torpeur :
- Ah te voilà… ? ma pauvre, nous voilà seules maintenant…
Elle approcha sa main de la fidèle petite chienne noire qui avait partagé avec eux ces dernières années.
Machinalement elle tata ses longs poils emmêlés.
- Tu es mal brossée... oh je t’ai délaissée ces jours-ci, pardonne-moi ! Pour l’animal de compagnie d’une toiletteuse professionnelle, tu es vraiment mal lotie !
La petite bête regardait la pièce avec suspicion, en poussant de petits gémissements.
« Elle s’aperçoit du changement, elle doit être sensible à tous ces objets manquants…oh c’est triste ! »
La chienne sauta sur ses genoux, et allongea sa patte sur la poitrine de sa maitresse.
- Demain, je te promets, je t’emmènerai avec moi au travail, et tu seras la première à être bichonnée, parfumée…. Mais pas aujourd’hui, je n’ai pas le coeur à aller travailler, c’est trop dur…
Elle plongea son regard dans les yeux brillants de l’animal.
- Tu le sais toi, n’est-ce pas, que ce métier ne m’a jamais convenu ? et pourtant, ce n’est pas le moment de faire la difficile…deux loyers à payer...
La petite bête se blottit contre elle, et elles s’endormirent ensemble dans le fauteuil.
Quand Denise ouvrit les yeux, la nuit était tombée. Elle se désola une fois encore, pensant qu’elle n’aurait à nouveau pas sommeil cette nuit. Ces insomnies, cause de leur séparation, étaient devenues systématiques, et Denise en avait pris son parti. Pas question pour elle de consentir à se droguer de médicaments.
C’est alors que la «chose » se reproduisit. La chaleur.... La chaleur intense émanant du fauteuil de sa belle-mère…
Elle s’entendit crier dans la pièce étrangement vide :
- Pardonnez-moi, madame ! Je n’ai pas été une bonne épouse pour votre fils … pouvez-vous me pardonner…
La chaleur dans tout son corps augmentait toujours, presque brûlante. Elle s’arracha à cette sensation troublante, se leva en déposant délicatement dans le fond du fauteuil le corps complètement abandonné du petit animal, et se dirigea vers le bureau.
Elle saisit son crayon, son cahier, et soudain, les jeta violemment. Elle réfléchit un instant, puis, se retournant, elle vit la chienne, assise dans le fauteuil, se tenant bien droite.
Elle l’entendit distinctement articuler :
- N’oublie pas la bougie !
Persuadée qu’elle était en train de devenir folle, Denise s’exécuta pourtant, et, comme une automate, elle installa son petit rituel habituel : la bougie sur la gauche, le cahier bien au milieu, crayon et gomme à droite…
Elle regarda encore une fois du coté du fauteuil avant de s’installer pour de bon à son bureau.
Croisant le regard de la chienne, elle vit celle-ci cligner des yeux à son intention, comme l’aurait fait… un chat…! Denise ne put s’empêcher de repenser alors au premier chat de sa vie…
Elle s’entendit répondre intérieurement une sorte de « oui ». Comme une acceptation de quelque chose ; une chose dont elle n’avait pas encore totalement conscience, mais qui la reliait aux êtres qu'elle avait aimés dans sa vie....
Et tandis qu'elle commençait à écrire, elle ne savait plus quelle était la voix qui parlait en elle.