Puisque la musique "remarche" sur mon blog, je vous propose ce texte autobiographique, mettre la chanson en route...
Atelier d'écriture : "la bande originale de votre vie".
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Ma mère a rencontré mon père, Gino, à Montmartre, en ce printemps d’avril 1952. Un Italien ; un musicien... Il parait que je lui ressemble…
Un jeune arbre rose venait d’être planté en haut des marches du Sacré Cœur. Ma mère croit que c’était un magnolia.
Elle dit toujours :
« Cet arbre, il a ton âge… ».
J’ai fait le pèlerinage. Mon arbre n’existe plus aujourd’hui.
Grâce, ou à cause de la chanson à la mode des années cinquante, « Domino », ma mère n’a pas hésité pour mon prénom :
« Dominique, tu seras. »...
Me donnant, sans le savoir, le nom des enfants nés le jour du Seigneur, en Italie. Ce dimanche du jour de ma naissance, matin glacial de janvier où ma mère, pensant à mon père, a déclaré :
« Ce sera peut-être une musicienne…».
« Le printemps chante en moi, Dominique, j’ai le cœur comme une boîte à musique… ».
Pourtant les années ont passé. Sans musique. Ou presque. Sur le vieux piano d’une voisine je m’efforçais, parait-il, du haut de mes deux ans, de connaître sur le bout du doigt cette fameuse chanson : « Au clair de la lune ».
Je suppose que « Domino » passait sur toutes les radios, dans tous les cabarets de l’époque, et que ce succès a bercé ma petite enfance. Mais je n’en ai aucun souvenir.
J’ai acheté le disque. Oh, maman…
D’un bond, me sont apparues les années cinquante. Ce mélange de joie et de mélancolie d’après guerre. Les gens qui voulaient mordre à nouveau dans la vie, à pleines dents. S’étourdir au son de l’accordéon, ce piano du pauvre, dit-on…
Aujourd’hui encore, ma mère se demande ce qui l’a poussée à venir se promener toute seule ce dimanche matin-là, au Sacré Cœur. Alors, elle dit que c’est le destin. Que je devais venir…
Sans l’avoir jamais vraiment entendue, je croyais que cette chanson n’était que gaîté :
« Le printemps chante en moi »…
Mais quelle tristesse, quelle nostalgie ! Une introduction musicale poignante, déchirante, le drame qui couve...
D’abord, une révolte : pourquoi m’avoir donné le prénom d’une chanson aussi triste ?!
Puis, les larmes. Quand soudain m’est apparu cet amour. Intense et désespéré : celui de ma mère. Son amour pour moi. Seule avec deux enfants. M’accordant tout. Tout pour la musique. Héritage de mon père, la musique qui un jour me rattrapera. Au nom de laquelle elle fera tous les sacrifices.
Quelle chanson d’amour ! Comment ai-je pu douter de ton amour, maman... ?
Amour possessif et jaloux. Menaces. Jusqu’au crime. C’est fort, passionnel ! A la "Carmen !" :
« Je regarde qui t’entoure, prends bien garde mon amour, je ne donne pas cher de ses jours et des tiens ! »...
Et légèreté, toujours - à l'Italienne - de ce fameux, ou fameuse, Domino :
« T’as le cœur léger, tu ne peux changer »…
Légèreté de ma mère se jetant dans les bras des hommes. Orpheline cherchant l’amour, l’affection ? Jacqueline, élevée par un oncle et une tante âgés, privée au berceau de sa mère, puis de son père. Emportés tous deux par la maladie, en deux ans à peine...
Amour et douleur : « Je m’use de t’aimer »…
Souffrance de ma mère. Elle souffre pour sa cadette. A ses yeux, je ne peux que souffrir de n’avoir pas de père. Comme elle-même a souffert de n’avoir pas de mère. Car c’est ainsi qu’elle conçoit les choses. Ce qu’elle me transmet. De cœur à cœur. De corps à corps. Elle me nourrit de l’idée - folle, absurde - que je n’ai pas de père.
Pour masquer cette idée folle, elle invente un scénario, un conte qui la tient et la fait avancer. Il faut qu’elle avance, sinon elle crève, et nous avec.
Même absent, symbolique, elle doit me trouver un père. Ce sera Samuel, le père de ma sœur. Il deviendra ainsi, sans le savoir, l’image du « père idéal ».
Ma mère reproduisant ainsi, à son insu, le mensonge dont elle-même eut à souffrir dans sa jeunesse : sa tante adoptive se faisant passer pour sa mère. Comme si cette dernière n’avait pas existé. Ne lui en parlant jamais. Surtout pas de sa mort. Comme une honte…
Mais pour Jacqueline, c’est mieux comme ça. Pour ses deux filles. C’est mieux pour tout le monde.
Et à la fin, le pardon. Tout supporter plutôt que la perte de cet amour :
" Je pardonne toujours, mais reviens Domino, et je ne te dirai plus rien.".
Oh, maman, saurai-je un jour te pardonner ?...