Je l’ai gravé dans ma mémoire, ce jour…
Vingt ans après, debout devant mon chevalet, chaque détail, le moindre éclat de lumière coulent au bout de mon pinceau, comme si c’était hier.
Je suis assis à côté de mon père. Un père âgé pour le garçon de douze ans que je suis. En face : ma mère. Et son éternelle et rouge autosatisfaction.
Papa ne fait que pleurer. Mon oncle le charrie un peu. Il fait partie de ce monde "rougeot", du coté de ma mère…
Je suis comme mon père : plutôt sec, le teint jaune. Mais je ne pleure pas. Pensez donc ! Un gamin de douze ans, pleurer au mariage de sa sœur !
Mes parents m’ont eu sur le tard. Je n’ai jamais eu à me plaindre de ma sœur, si ce n’est ce fossé des années entre nous. Pour elle, je n’ai toujours été qu’un « bébé ».
Elle ne pourrait pas comprendre… Alors, je ne montre rien. Je bouffe. On remplit sans arrêt mon assiette avec des tapes dans le dos qui semblent dire : « Tu en as de la chance, hein ? Ta sœur se marie ! »…
J'ai même eu droit à ma première coupe de champagne...
Je me souviens… Je m’étais éclipsé avant la fin du repas. Dans la cour, il n’y avait que ce vieux chat, interdit de maison. Je l’ai pris sur mon cœur en lui promettant que, pour lui tenir compagnie, je me privais de dessert.
C’est alors que de la fenêtre entrouverte, j’ai entendu sa voix…. Je me suis approché. Elle était debout, si jolie…
J’ai regardé son mari. Lui aussi était en admiration devant elle. Heureusement, je l’aimais bien, « l’amoureux de ma sœur », comme on l’appelait... Pas un rougeot comme mon oncle et ma mère.
Je serrais de plus en plus fort le chat contre moi. Elle chantait. De sa si belle voix, celle qui m’avait tant bercé.
Je regarde ma toile. Au premier plan, cette place vide, tandis qu’elle chantait.,rayonnante ...
« Ma » place…
Et ce regret , resté en suspens : pourquoi ma soeur ne s'est-elle pas aperçu de mon absence tandis qu'elle chantait le jour de son mariage...?