Tu m'avais promis le soleil, celui qui ne brûle pas. Le silence, qui ne glace pas. L'air frais d'une vallée où les yeux débordent. L'herbe, la terre et l'eau... Tu m'avais promis les pierres, les poutres en bois, la vieille cheminée et les étincelles de joie... La campagne, les blés, les prunes avec, devant, un puits rouillé de douce nostalgie ; et au loin une route couleur de bonheur. Un chemin, un destin...
J'ai noué les lacets, dessiné et gravé l'éternité, arraché les lettres de ce pays plus douces et plus dures que les ronces de mûres ou de rosiers sauvages... J'ai dit Adieu au voyage. Au bout de cette rue tranquille, mon amour, finissent nos rêves... Et commence la vie. Nous planterons une glycine. Deviendrons gens de Province, d'un certain âge… Le soleil brillera, magnanime. Tu planteras le figuier oublié, tu sais ? Celui que tu m'avais promis... Et les lilas blancs et roses, et la giroflée mauve.
Tu seras mon lac bleu-vert, un rocher dans tes yeux. De la cuisine à la chambre , ensemble nous chanterons : "la terre est bleue comme une orange !" Jusqu'au jour où, ici ou ailleurs, l'un ou l'autre, l'un après l'autre, nous rejoindrons ceux qui... Ceux qui, déjà, savent que le soleil n'est pas ; ni la terre, ni l'eau, ni l'herbe... Ceux qui savent, mon amour, qu'il ne reste que l'amour.
Du plus loin que je me souvienne Je viens d'un pays de pierres Un pays de silence Où gémit le vent Où les chèvres, de leur laine Réchauffent les enfants Et dès l'aube peinent Pour leur subsistance Je viens d'un lit de solitude Une vallée de larmes Où meurt l'écho de mes pères...
Laissez-moi rien qu'une fois Voir l'aube rousse du passé Réveiller les vieilles pierres Ecouter le vent rapporter De derrière les montagnes La voix des âmes disparues Laissez-moi m'enivrer De ce vin d'amertume Rendez-moi l'héritage De cette longue plaine Aux couleurs du couchant…
Dans la mémoire morte de mes souvenirs Dérive le mirage de cet ancien navire Qui s'éloigne à présent, insondable mensonge Perdu à l'horizon, plus fragile qu'un songe
Dans le sable mouillé de mes incertitudes S'enfoncent les empreintes de nos deux solitudes Que l'homme de mes rêves, à qui j'ai pu dire oui Remplit tout doucement du sel de notre vie
L'océan de son coeur m'emporte dans ses lames Me berçant sur la grève au rythme du ressac Comme la vague du temps qui meurt et se fracasse Il creuse de ses yeux le sillon de mes larmes
Regarde ces fossiles, blancs comme des "je t'aime" Je t'en ferai demain un collier de promesses Que je déposerai au cou de ta tendresse...
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Comment réussir à trier tous ces papiers les yeux brûlés par les larmes ? Pourtant il le faut. Encore une fois cela m'incombe, pour la même éternelle raison : ma sœur est loin. Venir à l'enterrement de notre mère a déjà représenté un long trajet pour elle. C'est à moi aujourd'hui de vider la maison, de mettre le nez dans toutes ces vieilles photos, ces lettres…
Maman… tu es partie trop vite. Tu ne nous as pas laissé le temps de nous réconcilier… Je suis si désemparée, comment peut-il exister une douleur aussi intense ?
On se quitte dans l'incompréhension… N'y a-t-il donc aucun moyen, jamais, de réparer les erreurs ? Etait-ce écrit ? Quelle leçon, quel apprentissage tirer de tout cela ? Pourquoi mon lot aura-il été, jusqu'au bout, la solitude ? Encore et toujours la solitude. Cette solitude que je n'exprime même plus par la musique, comme s'il n'y avait plus accès pour moi à la moindre consolation…
Il n'y a plus de consolation. Ma mère est morte. Il n'y aura plus d'ultime recours. Il n'y aura plus cette dernière personne qui toujours, nous accueille, nous recueille, inconditionnellement. Non. Je suis seule maintenant. Seule pour de bon. Seule au monde.
Une lettre encore cachetée...? Quoi ? Elle vient d'Italie ? Mon dieu, est-ce possible ? Serait-ce…
Elle est écrite en français – mon père parlait parfaitement français !– voyons, qui signe ?… Roberto Consuelo ! Cet ami, proche de mon père, dont ma mère m'a tant parlé !
Il dit que… Il parle de mon père : Gino ! Mon dieu, ma mère ne m'avait donc pas menti, mon père s'appelle bien Gino ! Il dit que mon père est… mort.
Je l'ai toujours su. J'ai toujours pensé qu'il n'était plus de ce monde depuis longtemps. Quelle date ?.... 1974…
Comment ? Un héritage ? Mon père me laisserait un héritage ? A moi ? Moi qu'il n'a jamais connue ? Dont il ne connaissait même pas l'existence....
"Au cas où vous auriez mené à terme votre grossesse, puisqu'il serait donc le père de votre enfant, mon frère Gino m'a fait rédiger sur son lit de mort ce dernier souhait : laisser à son enfant...
une maison…"
Une maison, pour moi ?
"...une maison quie se trouve... "
En Calabre ? Là, où mes vaines recherches m'ont déjà conduite, suivant la trace des "Consuelo", émigrés espagnols… Et lui, mon père, qui est-il ? Ma mère n'a jamais su son nom de famille. Est-il lui aussi un Consuelo ? ... Oui ! C'est écrit ! En bas de la lettre, la signature, l'écriture de mon père ! Tremblante, vacillante...
C'est son frère ! J'en étais sûre ! Mais maman, pourquoi n'as-tu jamais ouvert cette lettre ?
Me voici à Cozensa, haut lieu de la Calabre. Un beau jeune homme est venu me chercher à l'aéroport, petit neveu de mon père. Il ne parle pas français. Le trajet en voiture est silencieux, il me passe mouchoir sur mouchoir. Je ne crois pas que je cesserai un jour de pleurer…
Le paysage est si beau, si… Ces montagnes, d'un vert intense… Mes rêves les plus fous, les plus intimes… couleurs, formes, odeurs, bruits… plus exactement : silence, soleil, lumière….
Nous descendons. Le moteur s'arrête. Mon cœur aussi. C'est elle. C'est dans les pierres de cette bâtisse que mon père est né. Odeur des murs… papa, papa...
Je m'effondre. Il n'y pas de mots. Il n'y a plus qu'un corps. Qui se tord. Je crie. J'accouche de moi-même tandis que mon neveu pose sa main sur mon épaule. Je veux rester sur les dalles. Les larges pierres du sol qui me donnent la vie une seconde fois. M'y rouler, m'y rafraîchir, m'y glacer jusqu'à la perte de conscience…
Il revient avec une photo. C'est lui mon père ? Papa… c'est toi ? Tous ces visages inconnus autour de toi, tant de personnes à découvrir...
La voix de mon neveu est douce, cette langue italienne roule, caresse... Il me donne la clé ; il referme ma main sur elle. Ses yeux brillent à lui aussi. Il me relève, il me porte. Me voici, pour la première fois, plus âgée que celui qui me porte, qui me soutient...
Je suis … tante ! Je suis… femme ! Je suis…
Il veut que je sorte, que je regarde le jardin. C'est bon de mettre ma main dans la sienne. D'être aimée juste pour ce que l'on "est"…