"J'm'ennuie !"
Je me revois répétant cette phrase...
Nous étions encore à Paris, j'avais donc moins de sept ans.
Après, nous avons déménagé en Banlieue.
"J'm'ennuie !".
Comment peut-on s'ennuyer quand on est si petite ?
Et ce premier spleen dont je me souviens très bien…
A Paris aussi… les toits gris à la fenêtre….
Quel secret anathème a pétrifié mon cœur ce dimanche-là ?
Une sorte de prise de conscience.
Oui. Je "voyais".
Maman, allongée sur le lit, nous deux aussi peut-être…
Je crois que j'ai pris conscience de notre solitude.
De notre immense solitude.
Est-ce parce que c'est ce jour-là que maman a appris ?
Ou compris…
Qu'il n'écrirait plus ?
N'enverrait plus d'argent ?
Que c'était fini
Que nous étions abandonnées…
Je n'ai que ce flash : à la fenêtre,un ciel lourd. Et vide.
Est-ce qu'on s'ennuie quand on n'a pas de père ?
"Parce" qu'on n'a pas de père ?
Aujourd'hui, je m'ennuie.
Cet homme qu'on appelait "notre" père…
Ma sœur vient de le retrouver !
Il était "vraiment" son père.
A elle.
Pas à moi.
A moi, c'était le père du mensonge de ma mère.
Je m'ennuie.
A nouveau ce vertige….
Non, plutôt : aujourd'hui, ce vertige !
Présent, intense, effrayant.
Celle qui a vécu - comme moi- cinquante ans sans père…
Tout à coup elle "a" un père.
"Son" père !
Je me demande ce que ça fait…
(je crois que je sais)….
Vertige...
Tellement seule !
Ça tourne…
Seule, seule…
Anathème…
Je crois que je l'aime
Même si ce n'est pas mon père
Mais on me l'interdit.