Septième chat-pître
Très souvent, nous avions la visite de matous, des vrais, en quête de femelle.
Pourquoi cette fois là ?... Un gros chat beige clair, que je connaissais un peu, mais dont le "test nourriture" s'était avéré négatif, commence à insister lourdement auprès de nos deux chattes : "Mais non, mon vieux, tu vois bien qu'elles ne sont pas intéressées, t'es bête où quoi ?"
N'empêche que nos deux chattes avaient le béguin pour lui, se roulant aux endroits où il laissait son odeur, sans aucun moyen de conclure quoi que ce soit ; la pauvre bête se contentait de miauler de manière terriblement agaçante.
Le voilà qui s'incruste, un peu, beaucoup, mais sans aucune bagarre : nos deux femelles étaient totalement subjuguées par sa taille imposante, sa crasse, ses blessures, et son œil poché.
Un jour, l'occasion est trop belle. Il se laisse attraper, c'est le moment ou jamais ! Maître ou pas maître, ce dernier est un ingrat de laisser cette pauvre bête miauler à fendre l'âme après des amours impossibles. Direction vétérinaire !
D'ailleurs l'odeur de ce mâle, bien qu'au goût de mes chattes, était absolument insupportable ; je lui disais souvent : "Tu es vraiment "inadoptable" mon pauvre vieux. Tu pues !" . (Mais j'avais déjà dans l'idée de le garder tellement il s'entendait bien avec Toutsy et Poupoune, et de toutes façons il ne nous quittait plus.).
Hélas, cette opération fut l'occasion d'une triste découverte.
Nounours (que j'avais baptisé ainsi à cause de sa ressemblance flagrante avec mon premier ours en peluche) était séro- positif : le Sida du Chat !
La décision m'incombait. Tout mon être criait non. Envers et contre tout, c'était non, nous n'allions pas le "piquer" ?! Pourtant, le risque était qu'il contamine nos deux amours…
Comment ai-je pu, face à un tel risque, prendre cette décision avec une si tranquille détermination ?… Il suffisait de le regarder, apaisé, de plus en plus propre, vautré comme un bienheureux, confiant, pour comprendre que sa vie était en train de commencer vraiment, et que ce n'était surtout pas le moment de la lui ôter. Il existait certainement une solution.
"On te garde Gros Nounours ! On te garde. Nos prières feront le reste..."
En fait, après bien des coups de téléphone à tous les vétérinaires de France et de Navarre, nous sommes arrivés à la conclusion que non seulement nos deux chattes ne risquaient rien avec Nounours, puisqu'ils s'aimaient, mais qu'au contraire, il les protégerait d'éventuels autres chats contaminés. En effet, c'était le chat le plus dominant que j'aie jamais connu. Une terreur. Même après qu'il ait perdu sa virilité il lui suffisait d'apparaître pour faire fuir le chat le plus téméraire qui aurait osé pénétrer chez nous.
Un seul animal a eu le dessus sur Nounours : la Tortue du quartier ! C'était à mourir de rire de voir Gros Nounours détaler à la vue de cet animal si inoffensif...
Nounours s'entendait particulièrement bien avec ma mère ; nous nous sommes demandés s'il n'avait pas eu une dame d'un certain âge comme maîtresse…
Nounours était vraiment très sympathique. Il s'est mis à nous aimer. Et à jouer ! Il fallait voir Nounours essayer de jouer ! Il n'était pas "rôdé". Son gros corps s'emballait maladroitement en voulant imiter nos deux folles, expertes en matière de cabrioles en tout genre.
Un beau jour, nous avons appris l'histoire de son passé.
Alors que nous affichions des annonces pour l'un de nos protégés, une dame âgée nous accoste et nous parle d'un chat roux très clair qu'elle avait nourri, et qui un jour l'avait quittée. "Mais c'est Nounours ! Il est chez nous ! Vous voulez venir voir s'il s'agit bien de votre chat ?"
Elle le reconnaît : "C'est toi, Biquet !" ("Biquet"...! Elle l'a connu petit ou quoi ?)
"Je l'ai nourri pendant des années, mais je ne pouvais pas l'adopter" continue la dame. "Puis, il a soudainement disparu. Un jour, il est revenu, et, voyant son tatouage, j'ai compris qu'il avait été adopté".
Cette dame nous a confié qu'elle a parfaitement senti, ce jour là, que Nounours était venu la prévenir : "Ne m'attends pas, j'ai trouvé un vrai foyer, sans rancune. Au revoir !". Elle ne l'a plus jamais revu.
J'ai cru sentir une pointe de regrets chez cette dame, qui se confondait en bonnes raisons pour ne l'avoir jamais vraiment adopté...
Nous l'avons rencontrée plus tard. Elle a pris un chat.
Pour de vrai.