Premier chat-pître
Tistou fut "LE "chat de ma vie (qu'on me comprenne bien : c'est lui qui fut à l'origine de mon amour pour tous les chats).
Pourtant je n'en voulais pas. Il ne faut pas que j'oublie ce refus qui était le mien, net, catégorique, pour comprendre toutes ces personnes à cause desquelles, au-jourd'hui, je me tape la tête contre les murs pour arriver à leur faire admettre qu'adopter un chat leur ferait autant de bien qu'à l'heureux élu.
Je ne te voulais pas. C'était comme ça. Pas question.
Mais c'était sans compter sur l'opiniâtreté des enfants en général, et en particulier de mes chers élèves qui m'ont harcelée tant et tant :
"Ce n'est que pour six mois, prends-le à l'essai, s'il te plait..."
A l'essai le chat ? Pourquoi pas ? (Quand j'étais petite, nous avions des chats).
" Bon d'accord, six mois, pas plus, le temps que sa maîtresse accouche de son bébé...".
Mais, un jour, je comprends le piège que l'on m'a tendu :
" Reprendre le chat ? Mais il n'en a jamais été question ! Si tu ne veux pas le garder, il ira au Parc de Sceaux, rejoindre ses congénères de misère : ils sont nourris, il sera très heureux."
Heureux le chat, sans amour ? Tellement jaloux que la mère craignait pour son bébé !...
Alors commencent les tentatives d'adoption. Autant dire, la galère ! Trop vieux le chat, trop du sexe masculin le chat, trop noir le chat, trop grand le chat. Trop le chat !
Mais un jour, victoire ! Tu es enfin désiré pour ce que tu es, vieux, noir, grand et viril (enfin, presque...).
Mais, que m'arrive- t- il ?
Je regarde ton front plissé par les miaulements incessants, par les innombrables tentatives de séduction que tu as déployées pour me plaire, dont je m'enorgueillissais comme une imbécile.
J'ai peur. Qui sont ces gens ? Je... heu...Je ne... PEUX pas !
Je te garde. Je t'aime. Je ne le savais pas. Avoir failli te perdre me donne le vertige.
Te garder aussi me fait peur (je ne suis pas capable, je ne suis pas capable).
Et c'est comme si je me noyais, comme si je faisais la plus grosse bêtise de ma vie.
Je t'ai annoncé la nouvelle en bonne et dûe forme :
"Je t'adopte, tu comprends ? Je t'adopte !"
Il a compris. Immédiatement. Plus de rides sur le front, plus de miaulements.
Te voilà soulagé satisfait détendu avachi ronronnant sur le radiateur ! Et beau ! Mais oui, tu es beau en fait.
Le grand amour, ça existe. Je l'ai rencontré. Il a duré dix ans.
Je t'ai d'abord débaptisé, car "Série noire" est le nom le plus idiot qu'on puisse imaginer, n'est-ce pas ? Tu t'appelleras Tistou !
"Tistou les pouces verts" est un conte pour enfants dont le héros est un petit garçon, capable de transformer des armes de guerre en magnifiques fleurs. Enfant qui se révèle être un ange.
La complicité est une chose merveilleuse. Avec un animal cela prend des proportions étranges. Comment comprend-il ? Comment sait-il ? Parce qu'il SAIT, cela ne fait aucun doute.
Il m'aimait et je l'aimais. Il m'a aimée en premier, et c'est cela qui me bouleverse aujourd'hui. Il est impossible pour un être humain d'aimer autant qu'un animal est capable de le faire. Il faut en faire son deuil.
Je ne l'ai pas assez aimé, je l'ai mal aimé...
Je l'ai délaissé.
Je n'ai pas su veiller toute une nuit alors qu'il agonisait doucement, sans bruit, et que son dernier effort fut pour me rejoindre à l'étage, comme à l'habitude. Il n'a demandé que ma présence, et moi, je voulais absolument dormir pour être en forme le lendemain...
Et ce ne fut pas son dernier effort. Je lui ai demandé encore plus. Sa mort, son absence étaient pour moi tellement intolérables, j'ai invectivé le ciel en criant :
"Envoyez moi un signe !"
Je crois que j'ai été exaucée.
Après avoir pleuré pendant des heures, je suis montée me coucher ; on m'a apporté le sommeil, et un "rêve":
...Tistou revenait, montait sur le lit comme à son habitude ; je le regardais en lui répétant :
"C'est un rêve, tu sais bien que c'est un rêve, que je vais me réveiller."
Mais lui me répondait :
"Mais non, tu vois bien que je suis là, que ce n'est pas un rêve !"
Puis nous sommes descendus à la cuisine et je lui ai donné à manger, comme d'habitude, en le câlinant tant et plus, comme d'habitude.
Il avait l'air extrêmement fatigué.
Je l'ai câliné très longtemps ; le plus longtemps possible...
(Je ne remercierai jamais assez pour ce temps qui nous a été donné de nous retrouver : le temps nécessaire pour que je goûte la certitude qu'il était encore " vivant "...)
Puis j'ai ouvert les yeux. La chambre m'est apparue, bien réelle. Sans vie.
J'ai descendu les escaliers en titubant. A chaque marche, j'avais la sensation de m'enfoncer d'avantage dans une souffrance totalement désespérée, lucide, infinie.
En même temps, chaque pas que je faisais semblait me dire que j'étais guérie.
Qu'il me serait désormais possible de vivre sans lui.