Je vous parle d’un homme qui vient de se pendre.
Il avait 76 ans. Pour moi, il a vécu toute sa vie dans un univers parallèle.
Roland est né dans une famille Berrichonne. De père en fils, on est fermier ; c'est-à-dire qu’on exploite les fermes des autres. On a rien à soi. Sauf des bras et du courage.
Quand on est malingres comme Roland et son frère Dédé, c’est dur. Dur de n’avoir que le dimanche après-midi pour se reposer. Dur de ne pas savoir ce que signifie le mot "vacance" ou "voyage".
D’autant qu’on a à peine 14 ans quand on est « loué » (comme une bête) pour la première fois....
Quand ces deux-là vous racontent leur vie en vous offrant le « poiré » et les p'tits LU, seul Dédé, le plus jeune, parle.
Le Roland, il ponctue seulement de ce refrain :
- Une vie d’misèr’ ! ...
Vous souriez, leur assurant que la vie parisienne n’est pas réjouissante non plus, qu’au moins à la campagne ils ont bénéficié du bon air....
Mais vous n’avez rien compris jusqu’à ce qu’on vous annonce que le Roland s’est pendu.
Profitant que son frère est allé aux courses. Avec juste ce papier sur la table :
- Je suis allé me pendre. Dans la grange.
Pas un mot de plus. Pas d’au revoir pour son frère. Le frérot de misère qui a partagé 70 ans de son existence. Cote à cote. Chaque jour que Dieu leur a prêté.
- Quand les autres allaient au bal le dimanche, nous, on allait faire une randonnée ! se vantaient les deux célibataires.
Pourquoi ? On n’a pas eu la réponse. Ils se vantaient d’être " courageux ". D’êtres " sains ". Ils se croyaient "parfaits" alors qu'ils n'étaient qu'étriqués. Rigides...
- Pour marcher... pour voir du pays, prétendaient-ils...
Sauf que leur père, très malingre, s’est aussi suicidé... Et la mère.... Pas commode la mère!
Quel est-il cet univers parallèle me direz-vous ? La campagne ?
Que Nenni ! Quoique...
Non. C’est autre chose. Qui sévit aussi dans les villes.
Cela s’appelle la non communication. Ça tue plus que le cancer. Plus que les accidents de la route.
Mon dieu ! Il vivait avec son frère depuis 70 ans ! Pas une seule seconde il n’a laissé entrevoir qu’il souffrait.
Je pense que ces deux-là - pacsés - ne se sont jamais parlé.
Vive le PACS. Vive la campagne. Vive....
Une vie d’misèr’, j’vous dis !....