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27 mars 2009 5 27 /03 /mars /2009 08:01

j'ai eu envie de reposter cette nouvelle en écho au texte de Dane ici

" Le vieux guide "


     Une petite phrase, depuis longtemps déjà, joue dans sa tête avec son moral :   
« Et si c’était ton dernier voyage ? Ton dernier compagnon de cordée. ? ».

Vincent est si fatigué. Usé. Il a perdu le feu sacré. La montagne ? Oui il l’a aimée. Et elle lui a bien rendu. Que de joies !...
 
Mais aujourd’hui le vieux guide n’en peut plus. C’est ainsi. Il en faut parfois si peu pour se sentir découragé, séparé, coupé de ce flux qui vous faisait vivre... Il ne saurait dire quand cette dépression a commencé.
 
Personne ne se doute de ses états d'âme. On lui confie toujours les courses les plus difficiles. Il est fatigué d’être ainsi responsable des plus faibles, des plus désespérés. Il se sent lui-même un cas désespéré... 
 
Quand aura-t-il le courage de le dire ? De démissionner ? Quitte à décevoir peut-être... Depuis 5 ans la retraite lui tend les bras. Personne ne l'oblige à continuer...
 
Roger, son nouveau client semble si perdu ! C’est pour cela qu’on le lui a confié. Parce que Vincent est le guide le plus expérimenté. Le plus réputé.
 
Si seulement on savait !....
 
Saura-t-il être à la hauteur ? Il se pose cette question depuis bientôt 50 ans, mais elle prend aujourd’hui une ampleur proche de la panique !
 
Son client est malade. Très malade. Il a décidé de faire cette expédition comme on jette une bouteille à la mer. Ultime espoir.
 
« Et si ce voyage était celui de trop ? » répète la petite voix dans la tête de Vincent... Mais il n’a pas osé refuser. Pas osé prendre cette décision de tout abandonner.  Comme il se sent lâche ! Et pourtant, il va devoir trouver le courage indispensable pour mener à son terme cette difficile mission...


Le jour « J » approche. Vincent a préparé son sac, comme d’habitude. Il a prit rendez vous avec Roger. Ils dormiront au refuge et à l’aube ils partiront pour une longue, très longue journée.

 
On attend beaucoup du vieux guide. Redonner le goût de vivre à son client, lui faire accepter son nouvel handicap, l’aider à se dépasser, à se prouver à lui-même que la vie ne s’arrête pas au seuil de la maladie....
 
Toutes ces belles paroles... Mais à lui, Vincent, qui va lui redonner le goût de vivre et de se battre ? Cela fait si longtemps qu’il n’attend plus rien.
De personne.
 
Il se demande s’il ne va pas cette fois céder à la panique et s’enfuir droit devant lui pour se perdre dans la montagne ! Il se sent trahi. Par qui, par quoi, il ne sait pas au juste. 
    
Peut-être par cette montagne à qui il a tout donné.... et voilà où il en est aujourd'hui ! Pourtant il sait bien au fond de lui que la montagne n'y est pour rien. C'est lui qui n'a pas eu le courage de regarder la réalité en face, pas eu l'humilité peut-être de se faire aider dans les épreuves de la vie...
   
 
En tout cas, il est trop tard, de cela il est certain. Il a presque 70 ans... Quelle déception ! A présent, il a le sentiment que sa vie est un échec, qu'il s'est trompé. Sans doute depuis le début...
 

Pourtant, dans la fraîcheur du chalet de montagne, le vieux guide se lève au petit matin, se dirigeant vers la cuisine, comme d’habitude, comme s'il portait le poids du monde sur les épaules...

Une seule idée le réconforte et l'habite ce matin, comme s'il en avait rêvée toute la nuit : préparer le café pour son hôte !
Oui, c’est la seule chose dont il se sente "capable" en cette première journée d’excursion : préparer un café bien chaud !
"Ah, si seulement notre rôle pouvait se réduire à cela,..", songe-t-il avec délectation.". Se lever tôt le matin et préparer un bon café pour ceux que l'on aime !"...
 
Mais il va falloir marcher, marcher encore toute la journée. Et grimper. Porter ce sac qui chaque année semble plus lourd. Trop lourd. Et ne jamais faiblir. Redonner le moral à son client. Le tirer peut-être. Le porter même s’il le faut. Le consoler, le réconforter...

Parler, surtout, est le plus difficile. Trouver les mots justes... Et sourire. Rire. Il le faudra. Il est payé pour ça. Peut-être pour la dernière fois... il n'en sait rien. 

Mais, là, soudain, dans la cuisine, un rayon de soleil l’éblouit !.. Il n’en croit pas ses yeux !... Le soleil levant caresse le dos voûté de Roger ,penché sur le vieux fourneau du refuge... Son pull-over marron a prit une couleur orangée qui irradie comme du feu, tandis qu’il surveille attentivement le café qui passe lentement dans la vieille cafetière de montagne....
 
Apercevant Vincent, il s’exclame, l'air émerveillé :
 
- Quelle belle journée, Monsieur Vincent ! Un peu de café ?
 
Deux bols ont été disposés face à la fenêtre, et une poignée de fleurs sauvages trône dans un grand verre, souriant à cette nouvelle journée pleine de soleil !
 
Interloqué, un peu perdu, Vincent s’assoie en hésitant à cette vieille table de montagne sur laquelle il a prit tant et tant de petits déjeuners... Le café est chaud à souhait, exactement comme Vincent l’avait rêvé pour son compagnon...
 
Le vieux guide regarde la montagne à la fenêtre ; plus belle que jamais...
 
Et soudain, comme au premier jour, il entend son appel ! De toute la force de sa joie ! Serait-il guéri tout à coup ? Il se sent régénéré, renouvelé !
 
Quelque chose dans les yeux brillants, quoique cernés, de Roger, lui dit qu’il en est de même pour son client, si triste la veille...  Radieux, celui-ci regorge de vitalité, n’en finissant pas d’être aux petits soins pour son guide, le servant tendrement, presque maternellement...
 
- J’ai merveilleusement bien dormi ! confie enfin Roger, s'asseyant en face de Vincent, tout impatient d’exprimer sa joie. J’ai rêvé - oh, vous allez rire - j’ai rêvé d’un bon café bien chaud qui - comment dire ? - redonnait vie, espoir à toute chose !... Oh je sais bien, les rêves c’est de la bêtise... Pourtant il a fallu impérativement que je prépare le café pour vous ce matin et que j’aille cueillir ces quelques fleurs ! Et ça m’a fait un bien !...
... Alors, comment le trouvez-vous ?
 
- Quoi ? balbutie le guide, complètement abasourdi....
 
- Et bien, mon café pardi !... J’adore cette vieille cafetière. Elle me rappelle mon enfance, et ma grand-mère !
 
Vincent ne comprend rien. Plus aucune voix dans sa tête ne lui parle de " dernier voyage " et toute fatigue s’est envolée de ses épaules. Une tendresse nouvelle le submerge à travers le sourire rayonnant de Roger, et pour la première fois depuis bien longtemps, le guide ne se sent pas seul !
 
Retrouvant soudain la passion de ses vingt ans, il se lance alors dans l’explication détaillée de l’itinéraire de cette journée, qui s’annonce si magnifique !
 
La montagne lui sourit comme au bon vieux temps, mais aujourd’hui il a le sentiment que c'est différent : deux guides vont partir ensemble ! A la conquête de leur vie. Ensemble, l’un pour l’autre !
 
En guise de reconnaissance pour ce beau cadeau qu’il vient de lui faire - et pour l’excellence de son café ! - le vieil amoureux de la montagne plonge alors son beau regard délavé et complice dans celui de son nouveau compagnon de cordée.
 
Lui adressant son plus beau sourire, il ne trouve rien d’autre à lui dire que ce simple mot, qu’on lui a si souvent répété, et qui prend aujourd’hui toute sa saveur :
 
- Merci !


domi
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18 mars 2008 2 18 /03 /mars /2008 08:12

     

     Le souffle au cœur de Mathieu, au départ, ce n’était rien de bien méchant. Mais sa mère ne pouvait s’empêcher de penser que cette faiblesse était apparue à l’époque où on lui avait découvert ce don étrange. 

Agé de trois ou quatre ans, l’enfant ce matin là, n’avait pu se résoudre à la mort d’un petit oiseau tombé du nid, venant à peine de succomber aux attaques répétées du chat de la maison. Il avait alors approché ses petites mains tremblantes de chagrin du corps sans vie de la petite bête encore dépourvue de plumes, et l’avait délicatement réchauffée contre sa joue. Etait-ce cette larme versée sur l’oiseau qui l’avait réveillé, abreuvé ? Toujours est-il que le petit cœur s’était remis à battre, tandis qu’un gosier immense hurlait sa faim de toutes ses forces !
     
Malgré l’inquiétude de sa mère, aucun médecin n’avait consenti à admettre que l’apparition du souffle au cœur de Mathieu puisse avoir un lien quelconque avec cette guérison « miraculeuse ». Pourtant, force était de constater que sa santé ne cessait de se dégrader au fur et à mesure que sa réputation d’enfant guérisseur s’étendait dans toute la région.

- «Ne t’occupe plus des autres !» lui criait parfois sa mère, au comble du désespoir.

Mais elle savait bien que c’était impossible. Pour Mathieu, cesser de soulager la souffrance d’autrui aurait été pire que la mort. Comme l’acte de respirer, cet acte était vital pour lui. Là résidait tout son bonheur.

Un soir, à l’aube de ses dix ans, mettant la main sur son propre cœur, celui-ci n’étant plus qu’un souffle palpitant, quasi imperceptible, il comprit qu’il allait mourir. Sachant depuis toujours que son pouvoir ne pouvait rien pour lui-même, les larmes qu’il pleura cette nuit là eurent un goût bien amer : celui de d’absolu désespoir. Car il réalisa soudain qu’il ne pourrait rien pour la personne qu’il aimait le plus au monde et qui avait le plus besoin de lui : celle qui lui avait donné la vie. Lui, " l’enfant du Pouvoir", comme certains anciens l’appelaient encore, était maintenant totalement impuissant.

Quittant doucement sa chambre au petit matin, il alla respirer une dernière fois l’odeur de sa mère, sans pouvoir retenir une larme qui s’évanouit sur l’oreiller.

A cet instant, le premier oiseau de l’aube se mit à chanter.

Il repensa avec tendresse à l’oisillon de ses quatre ans, réalisant que ce chant matinal serait désormais pour sa mère une consolation et une espérance quotidiennes. Puis, dans une gratitude extrême, il vit défiler lentement dans son cœur les visages radieux des personnes qu’il avait aidées pendant sa courte vie. Leurs sourires attendris semblaient lui dire : « Tu peux t’en aller en paix, nous prendrons soin de ta mère. ».

Soulagé, remerciant la vie qui lui apportait une joie si profonde en son dernier jour, il s’abandonna sans résistance à l’immense chant d’amour qui, à travers l’oiseau de l’aube, prenait peu à peu possession de tout son être.




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17 octobre 2007 3 17 /10 /octobre /2007 11:05




     Je suis grand maintenant. Et fier. Tous les matins, c’est mon père qui le premier perce les tempes de la nuit dans le silence... C’est un grand honneur pour notre famille !
Il est le chef de la communauté. Du jardin si vous préférez.
En quelque sorte, c’est lui le chef d’orchestre. Bref, il donne le La. Un cri magnifique !

Aussitôt un autre s’accorde ! Puis tout le jardin compose cette sublime prose rythmique et polyphonique que j’ai toujours entendue, depuis mon plus jeune âge.

C’est de l’improvisation ! J’aime beaucoup....

Toutes mes plumes ont poussé maintenant, mon ventre est tout rebondi et je donne déjà bien de la voix moi aussi. Je tiens ça de mon père.

Mais mes frères commencent à prendre drôlement de la place dans ce petit nid où je suis né. Ils me poussent chaque jour un peu plus dangereusement vers le bord et je suis bien obligé de comprendre que quelque chose va se passer dans ma vie...

Je crois bien qu’il va falloir que je quitte le nid et sa douce chaleur... mais comment ? Ça me fait si peur ! Moi qui n’aie jamais ouvert mes ailes, jamais mis une patte sur le sol... Qui sait ? Je ne suis peut-être pas comme tout le monde ? Comment être sur ? Et si je m’écrasais comme une fiente ? Quelle horreur...

En même temps, ça me tente !... Et puis je dois tout le temps agiter mes ailes pour me faire une petite place en attendant que maman revienne de la chasse. C'est plus une vie !

D’ailleurs, la voilà ma mère.

- Moi, moi d’abord, Maman !....

Moi, c’est Frrr. Le plus joli prénom de la famille....

Si j’ai bien compris, je suis l’aîné ou quelque chose comme ça. En tous cas, je suis le plus grand et le plus gros. Ça a des avantages, mais pas seulement....
Depuis quelques jours, mon père a un comportement étrange. Il gazouille avec une drôle d’insistance à mon intention. Perché sur une branche un peu trop loin à mon goût, il n’arrête pas de me dire :

- Frrr...Frr... Alors, tu viens ? Tu te décides ? Regarde comme c’est facile ! Suivez le guide...!

Et hop, le voilà qui se laisse tomber dans le vide!...

Facile, facile... Facile à dire oui !
Quand je pense que sous prétexte que je suis l’aîné c’est moi qui vais devoir m’y coltiner le premier! Ce serait plus rassurant de voir un autre jeune se lancer, sur, ça me donnerait du courage, mais mes frères sont plus petits je le vois bien, c’est à moi de leur donner l’exemple, vraiment c’est pas juste !

 

Et maman qu’est-ce qu’elle en dit de tout ça ?

Chère maman ! Nourrir tout ce petit monde, appeler chacun par son nom, Frri... Frrou... Frre... Ne jamais se tromper et recommencer, recommencer toute la journée. Quelle constance ! Quelle patience ! Quelle bonne mère !
Papa la relaie d’ordinaire mais en ce moment, pas trop. C’est une véritable obsession chez lui, il ne me lâche plus...

- "... Suivez le guide, suivez le guide !... ".

Il m'énerve avec son " suivez le guide " et le ton débile et soi-disant enthousiaste avec lequel il répète ça toute la journée !

Heureusement, maman est là.

- Oh qu’elle est bonne cette mouche ! Merci maman chérie !

... Quoi ?... J’ai bien entendu ? Tu t’y mets toi aussi ? J’ai pas rêvé, tu viens de me dire qu’elle serait encore meilleure si je l’avais attrapée moi-même ?...

... Et pourquoi ça ? Je vois pas, faut qu’on m’explique...

... En plein vol ??!... Pis quoi encore ! Ça y est, ma mère est folle !

Le ciel est beau. Papa m’appelle. Son chant me grise. Le jardin est vert, humide. D’en haut je vois ces gros boudins terreux à fleur de pelouse. Hum...que ça doit être bon, ça !... Si je me lançais ?...

A la une... à la deux.....

Attention !!

Toute la communauté vient de crier : chouit’, chouit’ ! Attendez, je traduis : ça veut dire « chat ».

Monsieur « Improviste » a encore surgi d’on ne sais-où ! Celui-là, faut s’en méfier. Pas commode.
Très, très lent le pauvre, mais dangereux quand même ! Il vaut mieux ne pas tenter le diable...

Ouf ! Merci mon vieux !... (entre nous, je crois que ça m’arrange...).

Que voulez vous, c’était pas le jour !

Demain, peut-être...

- Pas vrai papa ?




 

 

 poèmes sur http://adomimots.over-blog.com/

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26 septembre 2006 2 26 /09 /septembre /2006 10:34
A partir des mots imposés du dernier loggrallye de mon atelier d'écriture, voici une petite histoire... Impossible de mettre tous les mots...
Je la sens comme une sorte de feuilleton, qui sait ? Avis bienvenus !

première partie :

   
Violaine court. Ses jambes volent au dessus des hautes herbes folles. Dans quelques minutes, elle sera chez Papy.

Elle longe la ferme sur le côté pour ne pas voir la chienne qui vit attachée et qui pose comme une potiche, debout dans la cour. De cette manière, la fillette évite aussi "la Sorcière", qui passe le plus clair de son temps dans la grange aménagée en chambre…

Elle déboule dans la cuisine, par la porte de derrière.

— Ah, te voilà !... Comment va ?

— Oh, Papy, bien ! Alors ?!

— Tout doux, tout doux ! Je sais ce que tu veux, mais laisse-moi le temps !... Tiens, prends-le, c'est celui-ci, là, sur la table.

Violaine saisit l'énorme livre, les yeux écarquillés de bonheur. Elle se juche sur les genoux du grand-père, la lecture peut commencer. L'enfant se contentera de regarder les images, tout en dévorant des yeux la moustache de Papy qui se soulève tandis qu'il parle, et sa barbe grise, douce et chaude, contre sa joue…

— Ah, ça, Papy ! Qu'est-ce que c'est ?

— Un gnou.

— Oh, noon… persifle la petite fille…

— Mais si !

— Et sa femme, comment s'appelle-t-elle ? Une gnougn.. gnognotte ?

— Mais non, c'est une maroufle !

— Une moufle ? hi hi hi hi…

Elle regarde les yeux de Papy. Si elle voit sur les côtés des vibrisses de chat, c'est que le vieux sourit, qu'il est heureux. Alors elle est contente elle aussi….

— Mais non, voyons, sois un peu sérieuse ! Ecoute bien : ma-rou-fle…

— Et le petit, comment il s'appelle ?

— C'est le gaou.

— Hi hi hi hi ! Loup-garou ! Oh, Papy, je vais te manger…

— Et avec quoi tu me mangerais ? Avec ces petits trous que je vois dans ta bouche…?
Et cet animal, tu le connais, n'est-ce pas !

— Ah oui, ça, c'est un lapin !

— Et sa femme, déjà ?

— Heu…. lapou… lapine !

— Oui ! Bien !... Et celui-là ?

— Heu…

— C'est un coq.

— Et sa femme… Oh, je sais ! Une coq-coq-coquine ! Hi hi hi….

— C'est toi la coquine… Non !

— Une coq… cot'… codotte ! Une cocotte !!

— Tu la connais très bien ! C'est une p… une p….

— Poule ! Ah oui, comme le poulet ? Oh, Papy !...

Violaine pose la tête contre l'épaule du vieil homme. Sa barbe sent le feu de bois, la pomme, le frais… Il lui apprend tant de choses formidables ! Tous ces animaux domestiques ou sauvages… Sans lui, personne ne lui en parlerait aussi bien !



— Ah, tu es là, toi ! Qu'est-ce que tu veux ? De la menthe, du sirop ? Qu'est-ce que tu veux…

— Rien…

— Allez, réponds. N'aies pas peur, elle va pas te manger...

— Du sirop, alors !

— Du sirop de quoi ! Comment je devine, moi ?

— Rouge !

— Et toi, le vieux, qu'est-ce que je te sers ?

— J'ai pas soif, j'ai pas soif… Allez, sers la petite, elle a couru…

Violaine trempe les lèvres avec délice dans le grand verre de grenadine. Les yeux de Papy brillent. Ceux de la sorcière lancent des éclairs. On dirait une épée. Le trait de sa bouche tremble. On dirait une coupure, un gros bobo, mal cicatrisé...

" Pauvre sorcière ! Sa vie n'est pas plus drôle que celle de la chienne…"

— Dis, la Sorc… heu, Mauricette, pourquoi t'es pas mariée ?

— Est-ce que je t'en pose, moi, des questions ? Finis ton verre !

— Pourquoi, tous les deux, vous êtes pas mariés ?

— Parce qu'on est bien comme ça, tu comprends ? Frère et sœur, ça nous va…

— Oui, mais frère et sœur, on n'a pas d'enfants et…

— T'as fini ?! Donne !

— Toi, t''es vilaine ! Vilaine comme une vieille… moufle… une vieille marou-fle ! Et c'est bien fait pour toi ! Tu n'auras jamais de petits loup-gar… de petits... gn…de petits gnou-ous !!!!

— Arrête, Violaine !

— Mais pourquoi personne ne répond jamais à mes questions aussi ! ?

— On y répond à tes questions, on y répond… C'est toi qui ne peut pas comprendre… tu es trop petite encore… La vie, tu sais, c'est pas toujours comme on voudrait…

— Oh, Papy ! Comme j'aimerais que tu aies une gentille femme, et des petits… tout plein de petits… lapinous, enfin, tout ce que tu veux ! C'est tellement pas juste ! Dis-moi, Papy, pourquoi ? Pourquoi faut-il que tu sois malheureux ?


La porte claque.

— Tu vois ? Tu lui as fait de la peine…

— Pourquoi le bon dieu n'a-t-il pas voulu que tu sois mon papy, pour de vrai ?...

— Laisse le bon dieu tranquille, ça ne le regarde pas… Tu n'es pas bien comme ça, avec moi?

— Non ! Elle vient toujours tout gâcher ! Je la déteste !

— Tu exagères, comme d'habitude… Regarde comme elle fait des efforts ! Elle te propose chaque fois à boire…

Violaine soupire. Dans les bras du vieux grand-père de ses vacances, ses paupières clignotent. Dessous roulent des billes. Elle voudrait tout oublier, profiter de ces instants …

Si seulement elle n'avait pas si peur… Peur de le perdre. Peur qu'un jour il ne reste à la ferme que la Sorcière et la pauvre chienne…


Qu'il ne reste que la misère.. 
 
 
 
 
 
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25 septembre 2006 1 25 /09 /septembre /2006 10:07
deuxième partie :
 
 
— Où étais-tu passée ? Chez Papy ?

— ….

— Je n'aime pas trop que tu rentres si tard ! Tu n'as que six ans.. Tout va bien à la ferme ?

— Mouais…

— Tu l'as vue ?

— Qui ? La Sorcière ?

— Toujours aussi…

— Toujours !

— Ne sois pas trop dure avec elle…

— Mais maman, c'est elle qui est dure avec moi ! Méchante ! Voilà ce qu'elle est !

— Non, non… méchante n'est pas le mot…

— Elle me déteste.

— Non…

— Moi aussi je la déteste !

— De toute façon, il faut avoir du cœur. Avec tout le monde, tu le sais.

— Justement, je n'ai jamais envie d'être gentille avec elle…

— Tu es trop petite…

— Trop petite, trop petite ! En tous cas, Papy, lui, il m'apprend. Bientôt, j'en saurai autant qu'une grande !

— C'est gentil à lui, mais…

— Mais quoi ?

— Non, rien…

— Tu n'aimes pas Papy…

— Tu ne vas pas recommencer, tu sais bien que c'est faux…

— Ah ! Qu'est-ce que c'est ? Non !!

— Violaine ! Tu es folle ? Reviens, reviens ! Mon dieu ! Jacques ! Viens tout de suite ! La petite s'est sauvée ! Ah, je te l'avais bien dit, tu n'aurais jamais dû revenir ! Elle a vu ta veste, ce qu'elle est intelligente tout de même…. Qu'allons-nous faire ? C'est de ta faute ! Il faut que tu partes, cette fois-ci pour toujours ! Tu m'entends ? Je ne veux plus jamais te voir ! Vas-t-en !!

Violaine court tellement vite qu'elle ne sait plus pourquoi elle court. Sa colère s'est transformée en peur.

Ça fait si mal… Jacques ? De retour ? Sa mère lui avait promis qu'il ne reviendrait jamais. Elle le déteste ! Elle n'oubliera jamais le jour où elle les a surpris dans la cuisine… Cet affreux et dégoûtant baiser...

"Papy, Papy, au secours…"

Mais la petite n'ose pas retourner à la ferme. On la ramènera et rien ne changera. Pourquoi a-t-elle envie de mourir tout à coup ? Tout est préférable à Jacques ! Comment sa mère a-t-elle pu lui faire ça ? Sans la prévenir…

Il fait si doux… qui l'oblige à rentrer ? Dormir sur la mousse, voilà ce qui se rapprocherait le plus de la mort. Oui, se laisser aller dans cette forêt familière qui lui semble soudain si merveilleuse… Elle se sent fatiguée tout à coup. Mais elle n'a plus peur. Il lui semble que des bras se tendent vers elle, la soutiennent. Que des voix lui parlent, des murmures…

— Violaine, Violaine….

Là, elle en est sûre, quelqu'un vient de l'appeler par son nom ! Elle se redresse.

— Qui es-tu ?

— Tu es en danger ici. Je suis venu te prévenir.

— En danger ?

— Les animaux ! Tu sais, ils pourraient te blesser pendant ton sommeil… Et à ton âge, on dort profondément !

— Quels animaux ? Les gnous ?

— Oh, oh ! Je vois que tu es savante ! Non, tu dois savoir que les gnous sont des animaux d'Afrique ? Je te parle des chevreuils, des cerfs même, et surtout des sangliers…

— Berk ! j'aime pas les sangliers !

Un craquement la fait sursauter. Pas de doute, cette fois, on marche sur les feuilles....

La petite se cache. Elle voit une femme de dos.
 
"Mais, cest la Sorcière ! Que fait-elle ici ?"…

La vieille se baisse, elle ramasse des branches.
  
"Ah, oui, pour la cuisinière…".

Comme elle a l'air de peiner…. Un peu plus Violaine se précipiterait à son aide ! Mais elle se retient. Personne ne comprendrait. Ni ce qu'elle fait ici, encore moins qu'elle ait eu pitié de la Sorcière…

"Elle chante ?"

L'enfant s'approche sans faire crisser la moindre feuille, tendant l'oreille de toutes ses forces.

— Polichinelle, joujou fidèle, s'endort aussi près de ton cœur…

"Polichinelle ?!". La Sorcière connait "SA" berceuse ? Celle que sa mère lui chantait quand elle était toute petite ?

— Dors, mon amour, mon seul bonheur !...

C'en est trop ! Le cœur de Violaine se soulève... cette voix, cette chanson… dans la bouche de la Sorcière !

Que lui arrive-t-il ? La petite fille est si triste tout à coup ! Triste comme elle ne l'a jamais été. Plus triste que pour la pauvre chienne attachée dans la cour… Elle voudrait courir vers la vieille…

"Que m'arrive-t-il ? J'ai du cœur pour la Sorcière maintenant ?.... Je suis…"

— Je suis grande ! A-t-elle crié sans pouvoir se contenir.

La vieille l'a entendue, elle se retourne. Un rond noir se forme sur sa bouche.

— Violaine ?... Attends ! N'aies pas peur !

L'enfant a cédé à la panique. Elle court, se griffe, se cogne, tombe.

La Sorcière est déjà sur elle.

— Mais tu as le diable au corps ma parole ! Que t'arrive-t-il ? Ah, quand le vieux saura ça ! Où est ta mère ? Que se passe-t-il ? A-t-on idée de se promener toute seule ici à ton âge ?

— Laisse-moi ! Au secours, Papy, au secours !

— Ça suffit, maintenant ! Arrête ! Violaine ! Tu m'entends ? Calme-toi, c'est moi, moi, c'est Mam…

"Mamy" ?

La petite a entendu "Mamy"…

Jamais elle n'a appelée la Sorcière "Mamy". Jamais ! Il n'y a que Papy qui a droit à ce nom…

— Ma petite… murmure la vieille femme. Maintenant ses yeux sont tout plissés, ses lèvres murmurent des choses incompréhensibles. Violaine la regarde avec des yeux horrifiés. Son cœur bat tellement fort qu'elle a l'impression qu'il va éclater. Des sanglots enfouis l'étouffent, elle ne comprend plus rien, plus rien…

Ne pas pleurer. Ce serait impossible, ce serait honteux. Que se passe-t-il ? La Sorcière est là devant elle, et Violaine a envie de se jeter à son cou. De pleurer toutes les larmes de son corps… et elle ne sait pas du tout pourquoi.

La femme a pris sa main. La petite se laisse emmener sans résistance, comme un automate. Elle ferme les yeux en marchant. Elle voudrait que ce soit un rêve. Mais elle sent la main froide de la Sorcière dans la sienne. C'est donc que quelque chose de terrible est en train de se passer. Elle ne voudrait jamais qu'elles arrivent à la ferme…

La Sorcière l'entraine vers la grange.

La curiosité de l'enfant reste la plus forte :

"Enfin ! Je vais voir la chambre de la Sorcière…"

— Regarde, voilà. Tu vois ici ? C'est moi. Et là, c'est ta maman…

— Où est Papy ?

— Non, vois-tu, Papy n'est pas sur cette photo. Tu as bien compris, n'est-ce pas, que Papy est mon frère ?

Violaine sent qu'elle ne va rien comprendre. Que tout cela va être trop compliqué, trop dur, trop…

— Mauricette !!

Papy est là, dans l'embrasure de la porte. Jamais elle ne l'avait vu si grand, si fort, si…

— Papy !!

— Toi, file à la cuisine ! Reste en dehors de ça !

L'enfant s'exécute en courant.

"C'est un cauchemar, je vais me réveiller ! Papy, au secours…".

Elle plaque son dos contre la porte. Qu'on la laisse. Que tout cela s'arrête. Qu'elle se réveille…

Des bruits de voix lui parviennent de la grange, cela lui semble interminable… Une douleur bien connue, mais plus forte encore, la tenaille.

"Je suis redevenue petite ! On ne m'explique rien ! C'est insupportable… Je les déteste tous!"

Soudain, on pousse la porte fébrilement.

— Violaine ! Ma chérie ! Je t'ai cherchée partout ! Où est Papy ? Quelle peur tu m'as fait ! Jacques est parti. Pour toujours, je te le promets ! Reviens ma chérie, reviens à la maison…

Sa mère l'a prise dans ses bras, la serre tendrement. Violaine pleure doucement. Tout va s'arranger maintenant. Le cauchemar est fini.

Mais quelque chose a changé...

Elle regarde sa mère, et ce qu'elle voit c'est le regard de la Sorcière. Ce qu'elle entend c'est cette voix douce, légèrement voilée de la forêt…




— Qu'est-ce que c'est ? Mon dieu ! Qu'est-ce que c'est que cette explosion ?

La mère et l'enfant se précipitent vers la grange. Le grand-père en ressort, blanc, effrayant. Son fusil tombe à terre. Violaine a ouvert la bouche. Plus rien ne circule dans son corps et dans sa tête.

Elle entend sa mère bégayer :

— Non, tu… tu n'as pas ?…

La petite s'enfuit en courant.
 
 
 
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24 septembre 2006 7 24 /09 /septembre /2006 09:08
troisième partie :
 
 

— Voilà ! Tu es toute belle comme ça !

Sa mère la regarde avec admiration. Elle lui a fait une nouvelle robe qu'elle a cousue dans une des siennes, et Violaine se reconnait à peine dans la glace.

— Une vraie jeune fille !

Depuis cette terrible journée, c'est sa mère qui est métamorphosée ! Plus calme. Comme le ciel lavé après l'orage. Violaine la trouve rajeunie. Et en même temps elle ressemble de plus en plus à la Sorcière.

— Comme tu lui ressembles ! lance sa mère.

"Sa" Mamy... Ainsi la Sorcière est sa Mamy. Sa VRAIE Mamy ! La mère de sa mère…
Quel sentiment nouveau ! Tout a changé.

Violaine n'est pas retournée voir Papy. Elle a — décidément — prit le parti du cœur. Tirer sur la Sorcière, non, vraiment, ça ne se fait pas…

L'enfant ne se sent plus ni grande ni petite. Elle flotte. Elle a juste l'impression d'être "elle" : Violaine. C'est presque grisant. Elle n'appelle plus jamais Papy au secours dans sa tête, c'est fini. Elle aime ce nouveau sentiment ; compter sur soi-même…

Il lui arrive, bien sûr, de repenser parfois au petit personnage de la forêt… C'était curieux… et tellement agréable ! Comme la promesse d'une amitié fidèle, éternelle.

A disposition…


Mais pour l'heure, elles se préparent. Elles ont rendez-vous à l'hôpital avec sa "nouvelle" Mamy.

— T'es sûre, maman ? Elle va bien ?

— Oui, la balle a traversé l'épaule. Bien sûr, elle a été très fatiguée, mais tu te rends compte? Elle veut nous voir ! Toi et moi…

Non, Violaine ne se rend pas bien compte. Les choses s'expliquent au compte goutte en ce moment. C'est pour ça qu'elle a l'impression de grandir si lentement !... Elle ne comprend qu'une chose : sa mère va mieux ! Libérée. Heureuse. On dirait la période de Noël, et c'est sa mère qui ouvre des yeux émerveillés d'enfant…


Mais pendant le trajet, sa mère a prit un air plus sévère.

— Ma chérie, tu vois, il faut que je te dise une petite chose…

"Une petite chose... " .Se répète avec suspicion la petite fille.

— Tu vois, finalement, le retour de Jacques – tu me crois ma chérie, quand je te dis qu'il est revenu à l'improviste, que ce n'est pas moi qui lui ai dit de venir, tu me crois, hein ? —
Et bien tu vois, cette colère, ta fuite, tout cela n'a pas été que du mauvais, tu comprends ? Cela t'a permis de trouver maman – enfin, Mauricette, enfin, ma mère ! – dans la forêt… Après toutes ces années… En fait, elle ne voulait plus me voir…

— Mais pourquoi !?

— Ne juge pas trop vite, ma chérie. Tu sais, c'est compliqué. Moi-même je ne sais pas vraiment la raison…. Je peux t'avouer une chose… une chose terrible. Ma mère... ma mère ne m'a jamais aimée… non, ce n'est pas ce que tu crois ! Ce n'est pas qu'elle ne m'a pas aimée. Mais elle m'a rejetée, elle n'a pas pu m'élever… Et je peux la comprendre…

— Mais…

— Attends ma chérie ! Maintenant il faut que je te raconte. En fait, tu vois, c'est Papy… Papy qui m'a élevée. Tu comprends ? Jusqu'à l'âge de six ans. Après on m'a envoyée en pension…

— Son frère ?

— Oui, je sais, c'est étonnant. Comment t'expliquer ? Il a eu pitié. Il s'est en quelque sorte... "sacrifié", tu comprends ? Il était si jeune à l'époque ! Il a pris la relève de sa sœur quand il a vu qu'elle voulait m'abandonner…

— T'abandonner ? Tu vois, elle est méchante !

— Non, il y a autre chose…mais tu es trop petite... Il a eu peur. Il a cru qu'elle s'apprêtait à te dire quelque chose dans la grange… Alors il l'a empêchée… il a voulu te protéger, il l'a…

Violaine voit le visage de sa mère se durcir à nouveau. Ses poings se crisper sur le volant. Dès qu'elle parle de Papy…

— Mais pourquoi l'as-tu toujours détesté ? Il t'a élevée, il s'est sacrifié, tu dis !!

— Arrête ! Tu ne peux pas comprendre ! Je ne le déteste pas du tout ! Pas du tout ! Tu es encore trop petite, trop…

Pour une fois, Violaine n'a pas envie de se mettre en colère. Elle se sent grande à cet instant, quoiqu'en dise sa mère. Elle se sent patiente. Avec un cœur qui n'arrête pas de grandir…

Attendre.

Mamy va sûrement leur dire quelque chose à l'hôpital. Elle veut les voir, toutes les deux. On va bientôt savoir.

— Tu pleures, maman ? Oh, maman, pardonne-moi ! Tu ne vas plus voir la route…

— Non, ne t'excuse surtout pas ! Tout cela est de notre faute, tu n'y es pour rien !! Ma pauvre chérie, toi, toi, pardonne-nous !

Sa mère rit à travers ses larmes.
      
"Pauvre maman ! Ne pas avoir connu l'amour d'une mère ! Et se réconcilier à leur âge ? C'est vrai que ça donne envie de rire et de pleurer ! D'hurler sa joie.".

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23 septembre 2006 6 23 /09 /septembre /2006 07:15
 quatrième partie :
 
Violaine n'a pas reconnue la vieille femme dans son lit d'hôpital. Les cheveux tirés en arrière, le visage dégagé, elle lui a semblé toute blanche… "Propre" est le mot qui lui est de suite venu à l'esprit…

Sa mère s'est effondrée en revoyant sa propre mère. Ces deux là ne s'étaient pas retrouvées depuis des années et des années ! Ainsi, elle — Violaine et ses caprices d'enfant — est donc à l'origine de ces retrouvailles si émouvantes…

Elle n'en finit pas de grandir, de grandir…

— Approche, ma chérie. Violaine, ma pauvre petite, tout cela doit te sembler bien étrange…

— Non…

Les deux femmes sourient…

— Voilà, si je t'ai faite venir avec ta mère, c'est que j'ai un service à te demander… Oh, je sais, tu en as déjà tellement fait !… Mais écoute, c'est très important. C'est Papy… il m'inquiète….Je ne l'ai pas revu depuis ce terrible… accident…

Violaine n'en revient pas ! S'inquiéter pour un frère qui a voulu la tuer ? Car il a voulu la tuer, elle en est certaine ! La tuer parce qu'elle allait lui révéler quelque chose…

— Mais Mamy…

— Je t'en prie ma chérie, essaye de comprendre. Tu sais à quel point il t'aime?... Pourquoi ne vas-tu plus le voir ? Vous aviez une telle complicité tous les deux…

A présent c'est l'enfant qui se crispe dés qu'on parle de lui.
    
Elle cherche le regard de sa mère. Les yeux tout embrouillés de larmes, elle hoche la tête à l'intention de sa fille.

"Revoir Papy ?"… Violaine se sent à nouveau toute petite… et honteuse.

Elle n'a décidément pas le cœur aussi grand que celui des deux femmes !…

— Oui, tu es jeune encore pour apprendre certaines choses, mais je peux te jurer que tu n'as rien à craindre de Papy. Il est si malheureux... Si tu ne vas pas le voir… j'ai peur… Oh, j'ai si peur pour lui ! Supplie sa grand-mère.

Quelle déception ! C'était seulement pour ça que Mamy avait tenu à les voir ? Pour lui demander de pardonner à Papy ? Aucune révélation.... Rien…

Violaine réalise soudain à quel point son attente est grande. L'attente d'une chose sur laquelle elle n'a jamais pu mettre de mot et qui commence à affleurer dans son esprit…

"Qui es-tu ?" demande une petite voix dans sa tête...

— C'est qui mon père ?

Sa voix a parlé toute seule. Et sa mère s'est écroulée sur la chaise.

Mais Mamy n'a pas bronché. Une tristesse mêlée d'une douceur infinie a même embellit les traits de son visage… Elle sourit.

— Approche mon petit…

Sa grand-mère lui a prit la main. Violaine reconnait le contact froid et doux de la main de la forêt…

— Ecoute, c'est encore douloureux pour ta mère de parler de ça, tu comprends ? Ce sont des histoires d'adultes.... trop compliquées pour une petite fille, tu vois ? Un jour tu sauras, quand tu seras plus grande. Mais il faut laisser le temps au temps…. Regarde le temps qu'il aura fallu pour que tu apprennes que j'étais ta grand-mère…

— Mais pourquoi ? demande une petite voix pleine de larmes.

— Ne pleure pas, mon ange, patience !... Chaque chose en son temps, crois-moi ! Tout arrive, tout change… au moment où on s'y attend le moins… Patience !... Le principal n'est-il pas que l'on t'aime, tous ? Et Papy le premier, crois-moi, il t'aime ! Il ne pourrait tout simplement pas vivre sans toi… tu es sa seule raison de vivre. Oh, ma chérie, par amour pour ta mère et pour moi, promets-moi que tu vas retourner le voir…. promets-le moi…


La petite a promis. Son cœur se dilate à l'infini. Comme une grande, elle a vu sa mère pleurer dans le giron de Mamy, et même si elle ne comprend pas exactement la raison, elle a trouvé ça tellement beau.

Tellement étrange…
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23 septembre 2006 6 23 /09 /septembre /2006 06:23

Cinquième partie :

Sur le chemin de la ferme, le cœur de Violaine bat trop fort. Ces sentiers qu'elle aimait tant parcourir… il lui semble que cela fait un siècle…! Cette fois, ce n'est pas pour jouer avec Papy qu'elle lui rend visite, mais parce que c'est une grande maintenant. Et qu'elle a du cœur.

C'est beaucoup moins agréable… Moins confortable.

Heureusement, son ami de la forêt l'accompagne :

— Que vas-tu lui dire ?

— Je ne sais pas. J'ai peur.

— Faire comme si de rien n'était… jouer à la "petite"…

— Je ne pourrais plus monter sur ses genoux…

— Lui pardonner…

— Oui. Lui pardonner.


— Papy ! Lance-t-elle en arrivant à la ferme, avec une voix qui se voudrait enjouée.

Tout est bien silencieux. Elle regarde par les carreaux de la cuisine : personne. L'enfant se décide à passer dans la cour quitte à affronter le regard de la chienne…

Un bruit du coté de la grange… elle approche. Papy ne va jamais dans la chambre de la Sorcièr …. de Mamy…

— Ben, qu'est-ce que tu fais là ?...Papy ?

Le vieil homme est assis sur le lit. Quelque chose est changé dans la pièce… Violaine ne comprend rien. Ou plutôt ce qu'elle comprend est terriblement étonnant…

— Tu… Tu t'es installé ici ? Chez la Sorcière !

— Ah, c'est toi ?... Arrête de l'appeler la Sorcière, puisque tu sais maintenant !… N'est-ce pas, tu sais ?

— Et elle ? Où elle va dormir ?

— Je lui ai préparé sa chambre… il n'y a pas de raison. C'est à moi de coucher ici….

— Mais…

— Je ne mérite pas… je suis indigne…je…

— Oh, Papy !


Voir le grand-père de ses vacances — ses si merveilleuses vacances — sangloter ainsi ! La petite ne peut le supporter… Son grand cœur se précipite au secours du vieil homme.

— Papy ! Ne pleure pas… c'est fini… oublié…. je suis là, je t'aime…

Violaine s'est occupée du grand-père. Elle a refait le lit, joué à la maman…. Lui a ordonné de faire un brin de toilette, puis elle l'a entrainé à l'intérieur de la maison.

Comme il a maigri ! Il est terriblement changé. Sa voix tremble…

— Que t'a-t-elle dit exactement ? J'ai le droit de savoir…

— Rien. Juste qu'elle était ma grand-mère…
       

Il semble si abattu.

— Quel gâchis ! Mon dieu, quel gâchis…

Violaine n'est plus qu'attente. Attente anxieuse et sereine à la fois.

"Patience, patience…", répète la voix de sa grand-mère dans sa tête…

— Je suis coupable ! Continue le vieil homme.

— C'est oublié, je te dis ! Pardonné, Mamy t'a pardonné. Elle ne t'en veut pas du tout ! C'est même elle qui m'a dit de veni…

Le vieux a presque crié…

— Impossible ! C'est impossible ! On t'a embarquée dans une histoire infernale ! Tu es bien trop petite !!

" Encore et toujours trop petite…" médite la fillette.

— Bon, et ben je m'en vais. Je reviendr…

— Non ! Ne pars pas… pas déjà ! Attends…

Violaine le regarde droit dans les yeux.

Et à nouveau, comme si c'était une autre qui parlait à sa place, elle s'entend pour la deuxième fois prononcer cette phrase :

— Qui est mon père ?

Le vieux est devenu plus blanc que Mamy sur son lit d'hôpital. Encore plus blanc que sa maman quand Violaine a déjà posé cette question...
      
Quel étrange pouvoir semble avoir cette question ! Celui de faire du mal à tout le monde….
    
En tous cas, une chose est sûre, personne ne semble vouloir y répondre à cette question !

— J'ai bien un papa moi aussi ? Comme tout le monde, pas vrai ? Ça ne se peut pas, dis, que je n'aie pas de père…? Dis, Papy… comme les petits "gaous" ?…

Elle s'est jetée dans les bras du vieil homme quand elle a vu son regard chavirer et l'appeler si désespérément au secours… Alors il a pleuré. Et la petite l'a consolée, et bercé…

— Je reviendrai demain, mon Papy. Sois raisonnable, prends bien soin de toi. Tout va s'arranger…

.... Laisse le temps au temps… A-t-elle fini par ajouter en se redressant de toute sa hauteur.






— Alors ? Lui demande sa mère.

Violaine n'aime pas constater que sa maman est redevenue anxieuse…

— Mais rien !… Il a été très mal, c'est tout. Mais ça s'arrangera…

— Il… Il ne t'a rien dit ?...

La petite regarde sa mère. Elle a envie de lui hurler :

"Non, il ne m'a rien dit ! Bien sûr qu'il ne m'a rien dit, puisque vous vous êtes tous ligué contre moi pour ne rien me dire ! Pourquoi crois-tu qu' IL va parler plus que toi ?!!!"…

Mais elle s'est contentée de monter dans sa chambre sans répondre. Et pour la première fois, son ami l'a rejointe. Dans la maison... Ailleurs que dans la forêt…

Alors ce jour-là, elle a compris qu'il était partout...

Partout et chaque fois qu'elle avait "vraiment" besoin de lui. 

      

 

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22 septembre 2006 5 22 /09 /septembre /2006 19:54

Nouvelle en Six chapitres.

Dernier chapitre


Violaine se dépêche. Elle n'a que quelques minutes. Le plus dur a été de se débarrasser de Papy, mais elle a réussi à trouver un prétexte. Sa grand-mère rentre dans quelques jours de l'hôpital, il ne lui reste pas beaucoup de temps. Elle se précipite directement vers le tiroir de la commode d'où sa Mamy a sorti la photo qu'elle lui a montrée.

"Ah, la voilà !... Maman et grand-mère... on dirait deux sœurs jumelles ! Comment n'ai-je pas plus tôt remarqué cette ressemblance ?".
   
Fouiller. Vite. Trouver autre chose…. Des papiers, des papiers partout, en vrac…. de vieux journaux. Tiens, une coupure de journal qui semble très ancienne, déchirée, froissée…. Violaine n'aime pas les gros titres écrits en gras. Ils annoncent toujours des histoires horribles…
Son sang s'est glacé dans ses veines ! Le visage de sa mère, là, devant elle… Qu'est-ce qu'il fait là ? Sous les lettres noires… inconcevables, qu'elle vient de déchiffrer : VIOLEE.
    
La petite a écrasé la feuille dans ses deux mains crispées. Elle étouffe !

— Violaine !

A la vue du grand-père, l'enfant défaille.

— Donne-moi ça ! Qu'as-tu fait ? Mon dieu ! Pourquoi ? Pourquoi as –tu cherché…
   
Violaine ne sent plus rien. Son corps s'est vidé. La vie s'échappe, comme d'un tuyau percé, lentement, de son cœur, de son âme… Le vieux s'est assis sur le lit, près d'elle, sans rien dire. Les yeux fermés, elle a l'impression de tomber, de tomber… De glisser sur une pente neigeuse. Une descente sans fin. Il lui a prit la main. Il reste là. La main de son Papy est chaude, immense autour de la sienne. Elle ne sait plus depuis combien de temps elle est en train de tomber ainsi…
Peut-être s'est-elle endormie, elle ne sait pas. Elle a sentit qu'on la transportait… un bruit de moteur… et elle s'est retrouvée à la maison, près de sa mère.
     
Des cris, des mots étouffés…

— ... mon Dieu... que s'est-il passé.... que lui as-tu....
   
— … dans la commode… pourquoi a-t-on gardé cette horreur… il ne fallait pas… très choquée…. pauvre petite…
 .
— ... maman…?
   
— Ma chérie ! Ne dis rien… tu vas dormir… demain, mon ange, demain, nous parlerons. Mais ce soir…

— ... oh non, maman... pas toi… pas toi… j'en mourrai...
    
Sa mère ouvre la feuille froissée que lui a apportée le grand-père. Tout à coup, elle s'écrie :
 
— Moi ? Oh, non, ma chérie, ce n'est pas moi ! Pauvre cœur, tu as cru…. Mon pauvre bébé, ce n'est pas moi, c'est… hélas ! Mon dieu ! J'aurais tant voulu t'éviter ça…. Oui, on se ressemble tellement !... La pauvre petite ! Elle a cru que c'était sa maman qui… oh, c'est affreux !
    
La lame d'un couteau transperce à nouveau le cœur de Violaine. Douleur curieusement encore plus cuisante : "C'est donc Mamy ! C'est la pauvre "Sorcière" sur cette photo de journal… ?".
Ses pensées se brouillent à nouveau. Elle revoit le visage ravagé de sa grand-mère pendant toutes ces années… les yeux de la pauvre chienne aussi. Tout se mélange dans son esprit… en une seule et même souffrance.

— Il y a bien longtemps maintenant… Reprend sa mère. On n'aurait pas dû garder ce journal… Mais tu sais, ils ont été arrêtés, punis, emprisonnés ! C'est important, mon cœur ; justice a été rendue à ta grand-mère ! Oh, mon dieu, que veux-tu ? C'est la vie... des choses comme celles-là, malheureusement, ça arrive tous les jours… Pauvre, pauvre bébé… pardonne-nous…

On l'a couchée et bordée. Les deux visages aimés se penchent sur la petite. Violaine sent qu'elle est en train de comprendre quelque chose d'autre… quelque chose qu'elle ne veut pas… qu'elle préfère ne pas comprendre. Ne rien déduire. Pour le moment… dormir….
C'est ça ! Sa maman non plus n'a pas de père… c'est encore pire que de n'avoir pas de père ! C'est…
Elle rouvre les yeux. Ceux de sa mère sont rivés au siens. On dirait qu'ils la supplient. De quoi ? De ne pas comprendre. De ne pas penser… de ne pas souffrir. De ne pas rouvrir cette plaie. De rester petite… de…
   
Violaine réalise tout à coup que ces deux là sont ensemble pour la première fois : Papy et sa maman, à son chevet. Ses grands yeux étonnés courent de l'un à l'autre… et soudain, elle se sent si bien ! Jamais elle ne s'est sentie aussi en sécurité. Les traits de sa mère sont étrangement arrondis malgré l'anxiété, et l'amour de son Papy est si intense, si palpable ! Si parfait…
   
— ... maman, papa… je vous aime… a-t-elle murmuré dans un délire, avant de sombrer dans le sommeil.

Quand elle s'est réveillée, une bonne odeur de café flottait dans toute la maison. L'espace d'un instant, une sueur froide lui a glacé le dos : "Jacques !"… Mais le souvenir de la veille lui est aussitôt apparu. Non, c'est impossible ! Jacques ne reviendra plus. Jamais ! Sa mère le lui a promis.
Comment peut-elle se sentir si bien après la terrible découverte du journal ? Quelque chose de merveilleux s'est produit entre temps. Un rêve ? Elle ne sait plus… Elle se sent remplie, comblée, calme. Elle pense à "La Sorcière" : pauvre Mamy !… Mais le souvenir du visage serein de celle-ci sur son lit d'hôpital efface les horreurs de la veille. Tout semble déjà loin, très loin… Comme un songe oublié. Ne reste que cette sensation merveilleuse. Un conte de fée…
 
Elle descend lentement les escaliers. L'odeur est bien réelle, s'intensifie… c'est que maman n'est pas seule : elle ne boit jamais de café.
   
— Papy… ?
 
— Ma chérie !

"Ma chérie"?... C'est le mot de maman, ça …

— Maman…?
 
— Mon ange ! Assieds-toi vite ! Tu veux un peu de café ? Ça te changera un peu… avec du lait ?
   
— Qu'est-ce qui se passe ici ?

Sa maman est bien étrange tout à coup. Mal à l'aise, guindée... Violaine scrute le visage de Papy. Que fait-il ici de bon matin ? Et quel changement ! C'est incroyable… On dirait un jour de Noël, avec ses surprises, ses mystères…
   
Le grand-père s'approche.
    
— Mais Papy !... Ta barbe ?
   
— Je l'ai rasée ce matin, ma chérie… ça te plaît ?
   
Sa mère les a rejoints. Ils l'entourent tous les deux. Elle peut percevoir l'émotion qui soulève la poitrine de sa maman. L'enfant a soudain l'impression que les murs de la pièce sont en pain d'épices… Elle va se réveiller ! Décidément, c'est un rêve, c'est Noël ! Noël à Pâques…
    
— Maman, tu pleures ?
    
— Jacqueline… Prononce tendrement le vieux.
    
Violaine a l'impression d'assister à une pièce de théâtre. Que se passe-t-il ? Et comment se fait-il que Papy a l'air plus jeune d'au moins dix ans sans sa barbe ? Et pourquoi maman pleure-t-elle alors qu'elle avait l'air si heureuse l'instant d'avant ? Et pourquoi Papy pose-t-il sa main sur l'épaule de sa mère... et qu'elle le laisse faire ? Seraient-ils enfin réconciliés ?... Est-ce pour cela que ces drôles de larmes ont aussi le goût du pain d'épices de Noël ?
C'est à n'y rien comprendre. Papy a élevé maman quand elle était petite, et…et…
    
— Violaine ! S'exclame soudain sa mère. Tu voulais savoir… Et bien, voilà. Ton père… enfin, Pap…
   
— Non, Jacqueline !
    
— Pierre, il le faut ! Elle a le droit de savoir !... Ecoute, ma chérie. Ton père, vois-tu... tant pis si tu me détestes après... Papy… enfin, ton grand-oncle — tu as bien compris, n'est-ce pas, que Papy est ton grand-oncle, puisqu'il est le frère de ta Mamy ? — et bien, Papy… et bien voilà, c'est lui ! Pardonne-moi ma chérie mais ton père c'est… c'est Papy !... Voilà, c'est dit ! C'est comme ça, on n'y peut rien. C'est la vérité. Et si tu ne peux pas l'accepter…
    
— Jacqueline ! Voyons…
    
Sa mère s'est retournée. De profil, Violaine voit son menton trembler dans sa main.
     
L'homme s'est approché de l'enfant.
    
— Je t'avais bien dit que les histoires d'adultes sont compliquées…

La sonnette retentissante interrompt le Papy. Sa mère bondit de son siège.
    
— Roland ?... Et bien, entre ! Ne reste pas sur le pas de la porte…

— Heu… Bonjour tout l'monde ! Ah, tu es là, Pierrot… ?

Papy a rougi sous le regard inquisiteur du voisin. Jacqueline virevolte de l'un à l'autre, essayant de détendre l'atmosphère.

"Elle rit jaune." Pense la fillette.

— Qu'est-ce qui t'amène de si bonne heure ? Un peu de café ?... Rien de grave, j'espère ?

— Oh, non, Jacquy, ne t'inquiète pas ! Plutôt une bonne nouvelle… enfin… faut voir !

— Allez, nous fais pas languir…

— Ben, voilà. J'ai estimé que c'était mon devoir de te prévenir, Pierrot. C'est la "Noiraude"…

— La chienne ? S'inquiète Violaine.

— Ben dis-donc ! En voilà une qui se donne du bon temps à l'heure qu'il est !

— Qu'est-ce que tu racontes ? Elle est à la ferme, attachée !

— Ben, excuses-moi, mon Pierrot, mais elle est attachée…. à quelque chose d'autre, crois-moi !

— Elle s'est sauvée ? C'est ça ?

— Faut croire !! Je les ai trouvés au beau milieu du chemin, tous les deux, avec son "Brigand" de frère. Tu sais ? Celui qu'on m'a donné l'année dernière, de la même portée, enfin, tu vois lequel je parle… Ah là, là, fallait les voir ! Cul contre c…
… Oh, pardon ! A-t-il ajouté en direction de la petite.

— Mon Dieu ! s'écrie Papy.

— Quoi : "Mon Dieu !" ? Mais nom d'un chien, c'est la nature ! Quelle idée aussi d'attacher cette pauvre bête toute la sainte journée ! Il a bien fallu qu'elle vive un peu sa vie, elle aussi ? …Comme tout l'monde… pas vrai ? Dit-il en jetant un regard un peu mauvais en direction des les deux adultes.

La mère de Violaine est devenue toute rouge.

— Bon… ben, j'vais vous laisser ! Fallait que j'te prévienne, Pierrot, c'est fait. Je t'ai cherché à la ferme. Comme t'y étais pas, j'ai tenté ma chance ici… à tout hasard… Allez, bonjour la compagnie ! Tu sais où la trouver, la garce ! Et laisse-lui encore une bonne petite heure à la "Noiraude", hein ? Tu sais ce que c'est…

Sa mère a claqué si violemment la porte derrière le Roland que Violaine a sursauté.

— Quelle andouille ! Quel…

— Laisse, Jacqueline… Laisse-le…

— Qu'est-il arrivé à la "Noiraude" ? Interroge une petite voix inquiète et innocente.

Les visages aimés lui sourient gentiment à nouveau.

— Mais rien, ma chérie. Tu sais, les petits lapins… et les petits "gaous", tu te souviens ? Et bien la "Noiraude" aussi. Elle est en train de faire des petits…

— Des enfants ? Des petits ch---- des petits chiots ? S'écrie la petite, émerveillée.

— Bien !! Quelle bonne élève ! Comme tu as bien retenu mes leçons ! C'est ça, ma chérie : des chiots, tout plein de petits chiots !

— Tout plein ??... Combien ?

— Oh, tu sais, ça peut varier… cinq… six peut-être ?

— Chouette alors ! Comme ça, la chienne aussi va être heureuse ! Maintenant tout le monde sera heureux.

— Parce que… tu es… heureuse ? Demande timidement la voix cassée de sa mère.
   
Violaine se sent prise au piège. Elle est sur un petit nuage, mais elle ne sait pas trop pourquoi. Tout cela est bien embarrassant…

— Allez, tout le monde à la ferme ! Lance joyeusement Papy. Dans deux jours ma chère sœur rentre de l'hôpital, et la maison est dans un état épouvantable !
   
— Oui ! Crie la petite. Tout le monde à la ferme ! J'ai hâte de voir la "Noiraude" et ses petits !
   
— Mais tu sais, il va falloir attendre un peu…
 
— Attendre quoi ?

— Que les enfants grandissent dans son ventre ! Quelques semaines…

— Tant que ça ? Boude la fillette.

Au moment de partir, sa mère l'a retenue par les épaules. Elle s'est penchée à hauteur de son visage et a planté ses beaux yeux reposés dans les siens.

— Dis, mon ange, ça va ?

— Ben, oui…

— Tu… tu as bien compris ?

— Compris quoi ?

— Et bien, que Papy et moi… enfin… moi et ton grand-oncle…

— Oui. Comme la "Noiraude" et son frère ? Les bébés, ça marche aussi quand on est de la même famille ?… C'est ça qu'il faut comprendre ?

Sa mère n'a pas répondu mais l'a serrée à l'étouffer. La petite a bien vu le regard intrigué de sa maman en direction de Papy, mais lui, a hoché la tête avec un sourire tellement rassurant que Violaine a compris qu'elle n'avait pas à s'en faire. Même si les adultes étaient décidément bien compliqués, un jour elle serait grande elle aussi, et sa Mamy avait bien raison de lui avoir appris la patience.

Et quand sa mère l'a prise par la main tandis que Papy s'emparait de l'autre, Violaine a bien cru qu'elle allait s'envoler…

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27 août 2006 7 27 /08 /août /2006 11:49

 ecriturecreative : vies antérieures.
   
     Elle referma le couvercle du piano, insatisfaite. Elle connaissait bien ce scénario. S’acharner une journée entière sur une partition, sans résultat. Un seul espoir la faisait tenir, l’idée que bientôt - demain, peut-être - ces heures de travail porteraient soudainement leurs fruits, comme par enchantement… Elle se leva, inquiète cependant pour l’avenir de ce morceau qui lui donnait décidément bien du mal…

Puis, ce fut le trou noir ! Elle se prit les pieds dans le fil électrique de la lampe restée éteinte, et sa tête vint heurter le bois de son instrument.

Elle fut aussitôt assaillie de lueurs changeantes, passant de l'ombre la plus noire à la lumière la plus aigue, un flot mouvant d’images floues et désordonnées, se fixant peu à peu sur ce qui ressemblait à une forêt...

Les couleurs en étaient particulièrement vives, d’une intensité inhabituelle. L’atmosphère qui se dégageait de ce lieu lui semblait familière, bien qu’elle n’en eût jamais connu de si belle. Une nature vierge, encore sauvage.
Elle se trouvait dans une petite clairière, recouverte d’un tapis de feuilles multicolores, allant du vert au brun, en passant par toutes les teintes de l’or déclinées vers le rouge… Elle s’approcha d’un arbre vénérable et s’y adossa. Renversant la tête, elle vit clignoter les dernières feuilles vertes de l’automne, si haut qu’elles semblaient toucher le ciel.

Machinalement, elle regarda ses mains, ses pieds… son corps décharné était celui d’un vieillard ! Un ermite, couvert de haillons. Soudain, ses bras se levèrent à hauteur de son visage dans un tremblement compulsif. Une terreur s’était condensée dans les articulations de ses doigts, rongés par le remords : «  Qu’ai-je fait ! Mon dieu, qu’ai-je fait...! ». C’est alors qu’elle vit, à quelques mètres de là, le corps sans vie d’une frêle jeune fille, gisant sur la mousse… A l’instant même, la vision s’évanouit comme troublée par l'ondulation d'une vague, et la perception de son propre corps s’estompa elle aussi.

Elle se trouvait à présent en bout d'un village, d'apparence pauvre. Vêtue d’une longue chemise blanche, elle regardait ses pieds nus marcher lentement vers ce qui allait être sa dernière demeure... une minuscule maison de pierres, carrée, sans fenêtre. Elle entra : une table, une seule chaise, une paillasse.

Un coup à la porte la sortit peu après de sa prière. Cela n’étonna pas la jeune recluse, sachant qu’on allait, conformément à ses voeux, clouer définitivement l’ouverture derrière elle pour ne laisser que la trappe nécessaire à sa subsistance… Déjà ! Pensa-t-elle...
Mais le bruit ayant cessé aussitôt, elle se leva pour ouvrir. Personne. Baissant les yeux, elle découvrit une grande boîte, déposée sur le seuil. Elle défit le paquet, en sortit une robe de laine grise, au tissage grossier. Vêtement de Noces qui glissa, rugueux, sur sa peau nue, l’enveloppant à jamais dans les bras de Dieu…

Une odeur de bois brûlé, un crépitement de branchages l’arrachent brutalement à cette deuxième vision. Un coeur de petite fille bat la chamade, en proie à une frayeur incontrôlable. La fumée est trop importante... elle étouffe ! Le crescendo menaçant d’un immense brasier rugit à ses oreilles, s'élance... Maisons, toits de chaume, tout, dans la nuit épaisse, flambe ! Des cris, de touts côtés. La petite communauté où elle a grandit est pillée, décimée.
Des mains vigoureuses la tirent par les cheveux de l’abri où elle s’est réfugiée. Cinq hommes, fous de haine...
      
Après leur terrible méfait, un rictus méprisant :

- Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait de ça ! 

"Ça"... son corps de toute jeune fille, supplicié.

Et c’est l’éclair blanc d’un grand sabre.


          Elle ouvre les yeux. Le visage de son mari lui sourit. Elle inspecte ce qui l’entoure ; c'est une chambre d’hôpital. Aussitôt lui reviennent à l'esprit sa chute près du piano, les flashes... Pâles souvenirs, déjà. Fugitives et irréelles " poussières de mémoire"…
Instinctivement, elle regarde ses doigts, ses mains... La droite repose calmement sur le drap. Son époux s’est emparé de l’autre :

- Tout va pour le mieux ! Plus de peur que de mal, tu sors demain ! 


          Le lendemain, ils se proposèrent de faire une balade pour tâcher d'oublier ce fâcheux accident.

Comme ils débouchaient sur un endroit dégagé, au cœur du petit bois familier, elle s’écria :

- Cette clairière…!

Amusé, son mari l’interrompit :

- Ça y est ! Elle va encore nous dire qu’elle a vécu là, au pied de ce grand chêne, qu’elle était ermite, etc… 

... un sentiment de "déjà vu ", peut-être ?  ajouta-t-il pour la taquiner…

Elle ne put s’empêcher de sourire malgré l’émotion qui l’étreignait. Elle vit les feuilles les plus hautes, frémissantes, tandis que ses doigts de pianiste, souples et agiles, donnaient des signes d'impatience. Elle se sentit apaisée, certaine que dès leur retour à la maison, l’inspiration allait revenir, et que son morceau verrait enfin le jour.

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Un bout de moi

PHASME






Mots vides
sans style
de mon stylo
miasmes
de mes poèmes
sans chair
sans ossature
je me sens phasme
brindille
fétu
tige droite
sans âme
une écharde
 un trait
 un tiret
sur ma vie
ce que je suis
ligne
longue
sans poil
sans plume
sans feuille
 un brin
sans racine
sans ventre
une fente
une ébauche
une rayure
petite griffure
faite à la plume
une strie
figée
bâton
bout
de
bois
vide
bout
de
vie

Mes préférés...

Poème


"Je suis"


Je suis

la plume

qui gratte

la page

et qui

la griffe


Je suis

la griffe

qui s'accroche

à l'herbe

du gouffre


Je suis

le gouffre

qui grandit

chauqe jour

au bout

du chemin


Je suis

ce chemin

qui ne mène

nulle part


J'écris...


publié dans "écriture"


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Chanson et
récit autobiographique :
(cliquez sur le phonographe)
 
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